C’est à l’occasion de la sortie de son film Centaure, que nous avons eu le privilège de rencontrer le réalisateur Aktan Arym Kubat afin de discuter avec lui du cinéma kirghiz, de sa culture et de l’importance d’inculquer les traditions.
Z : Parlez-nous un peu du cinéma kirghiz, car ce n’est pas spécialement le plus connu par chez nous. En quoi diffère-t-il des autres ?
Aktan Arym Kubat: Au Kirghizistan, le cinéma a des bonnes traditions, bien sûre quand il parle du cinema kirghiz, soviétique, j’en parle toujours avec beaucoup de plaisir, car à l’époque soviétique, c’était le même pays et on faisait du cinéma ensemble que les cinéastes aimait à l’époque appeler « Le miracle kirghiz ». Aujourd’hui, on essaye de perpétuer cette traduction cinématographique et de continuer à faire des films d’autant qu’il y a une grande variété de film aujourd’hui au Kirghizistan aussi bien dans le style cinéma d’auteur que cinéma commercial même si sur les 70 films produits en moyenne par an, tout n’est pas à garder évidemment. Il faut savoir que cet engouement est arrivé avec l’avènement du numérique puisque cela facilite grandement la mise en route d’un film. Ainsi les jeunes se sont davantage mis au cinéma. Cet engouement a eu comme effet de ramener le peuple kirghiz au cinéma et en cela, c’est déjà une très bonne chose.
Pour le moment, beaucoup cherchent à imiter ou à reproduire ce qui se fait entre autre aux Etats-Unis, à l’image de ce qui se fait à Bollywood, mais cela a toujours été ainsi lorsque le cinéma a débuté. Je pense ainsi qu’avec le temps, la quantité se transformera en qualité.
Z: Concernant Centaure, le considérez-vous comme faisant partie de la catégorie « film d’auteur » ou « film commercial » ?
Aktan Arym Kubat: Evidemment initialement le film était pensé comme un film d’auteur, car je n’ai jamais fait de cinéma « commercial » donc c’est pour moi, un film d’auteur, néanmoins, le film est resté un mois sur les écrans au Kirghizistan, ce qui est rare pour un film d’auteur et quand bien même on espérait plus de spectateurs, je reste satisfait des résultats. Avec mes producteurs et notamment ceux sur la France, on essaye toujours de faire le maximum pour aller chercher le maximum de spectateurs et cela passe par la promotion dont les rencontres médias. On a bien entendu conscience que ce n’est pas avec ce genre de cinéma que l’on va s’enrichir, mais on fait un maximum d’effort autour de la promotion pour que le film trouve son public
Z : Que représente le cheval pour vous et plus globalement dans votre culture ?
Aktan Arym Kubat: Bien sûre, on ne peut parler de la civilisation nomade sans parler du cheval. La tradition nomade est impensable sans le cheval. Cet animal représente « Tout » aussi bien en tant que moyen de locomotion, que site de richesse, sans oublier d’un point de vue spirituel. D’ailleurs le dicton clef du film « Les chevaux sont les ailes des hommes » vient de cette culture du cheval. Aujourd’hui, le cheval reste important au Kirghizistan, mais bien évidemment, moins qu’avant. Aujourd’hui, le cheval est plus présent sous forme de divertissement et ce quand bien même chaque enfant kirghiz rêve d’avoir un cheval. Lorsque j’ai eu 13 ans, mes parents m’ont acheté un cheval et j’ai fait de même avec mon fils. C’est une tradition. Il faut savoir aussi que le tourisme équestre se développe de plus en plus dans mon pays et sa popularité grandissante a permis la mise en place des 3èmes jeux internationaux nomades, ce qui correspond en gros aux jeux olympiques équestres.
Z : Sans le film, il est important pour votre femme et vous même d’apprendre votre culture, vos origines à votre fils. pensez-vous qu’il est plus important encore aujourd’hui qu’avant de savoir qui l’on est et d’où l’on vient ?
Aktan Arym Kubat: Oui, vous avez raison, le mouvement global de la mondialisation est un problème qui touche le monde entier, à savoir la perte de connaissance de nos origines, de nos racines. Je pense que chaque peuple doit préserver son identité, car c’est ce qui fait que l’on est intéressant les uns pour les autres. Avec la chute de l’union soviétique et l’arrivée de notre indépendance (le peuple kirghiz), cela a créé de gros problèmes économiques d’autant que le Kirghizistan est un petit pays sans ressources naturelles telles que le gaz ou le pétrole et qu’avec ces problèmes est arrivé le problème de la culture. En effet nous sommes plus préoccupés par notre survie que par celle de notre culture. J’admets que cette situation me préoccupe et avec d’autres artistes du Pays, nous essayons de soulever cette thématique pour que l’on n’oublie pas cet aspect de nous-même.
Z: Concernant la réalisation du film, a-t-il conscience qu’il donne envie aux gens de visiter son pays ? Est-ce volontaire de promouvoir à l’aide de magnifiques images le Kirghizistan ou non ?
Aktan Arym Kubat: Je pense qu’un artiste, un vrai artiste en tout cas ne peut se donner ce genre d’objectif… En tout cas, moi je ne me suis jamais dit que j’allais faire un film pour faire venir les touristes chez moi. J’aime mon Pays et je suppose que cela se ressent dans mon travail. Pour l’anecdote, j’ai déjà rencontré des gens, venus au Kirghizistan après avoir vu certains de mes films. J’en étais évidemment ravis et je continue d’en parler à nos dirigeants qu’ils devraient utiliser le cinéma pour promouvoir le tourisme dans notre pays. Le tout dans une optique culturelle et touristique, pas dans le style placement de produit dans un cinéma d’auteur. Pour moi le cinéma d’auteur ne peut aller de pair avec la publicité imposée.
Enfin, vous n’êtes pas le premier à me faire cette remarque et dès lors quand je vais rentrer au Kirghizistan, je vais à nouveau discuter avec nos dirigeants afin que notre pays soit mis en avant.
Z : Après le succès de « Le voleur de lumière », avez-vous été courtisé par Hollywood et êtes-vous attirés par les films de studios ?
Aktan Arym Kubat: Je n’ai pas été particulièrement contacté par des gens d’Hollywood et quand bien même si on venait à me faire des propositions, je ne pense pas que j’accepterais dans la mesure où je ne suis pas intéressé par le cinéma commercial et qu’en contre partie Hollywood n’est sans doute pas intéressé par mon travail d’auteur. Pour moi, faire du cinéma purement commercial est une perte de temps, là où un véritable artiste est là pour parler des choses qui l’inquiètent, d’essayer de transmettre ses propres tourments à l’écran tout en touchant le public.
J’ai la chance d’avoir des producteurs qui me donnent de l’argent afin que je puisse faire « mon cinéma ». Ils ne me disent jamais quoi faire ou dire… A contrario, le cinéma hollywoodien n’a, selon moi, pas vocation à soutenir le cinéma d’auteur.
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